par Dauphine Scalbert, in La Revue de la céramique et du verre n°130 – mai-juin 2003
Cette maison en bordure de Puisaye est remplie à foison d’un amoncellement minéral apte à satisfaire la curiosité et l’émerveillement de son maître. Il y a les cailloux ramassés au cours des marches, les fossiles dont la région regorge, les coraux, les brachiopodes, les éponges, les morceaux d’animaux de pierre. Il y a les pots qui ornent et peuplent les étagères, et les marches, et les recoins de la maison ainsi pleine de vie. Jusqu’à l’encombrement, ce sont pots de référence, pots choisis soigneusement, ceux des amis, des collègues, leur présence affective ; puis les marmites des tropiques, les jarres pour le plaisir d’une caresse de la main, de la jouissance du souvenir, pots qu’il faut garder à portée du regard pour le travail à suivre. Ils meublent de courbes, de positions, d’attitudes la salle commune et la cuisine. Si l’attention qu’Alain porte aux objets est grande, l’attention portée aux gens est extrême et là encore, la curiosité égale le respect.
Peut-être avait-il appris cette ouverture à la maison où son père éditeur conviait les artistes et les gens de lettres ? Nous-mêmes aurions rêvé de rencontrer les grands tels Malraux, Paul Fort et d’autres dans ces circonstances !
Mais la réalité ne fut pas tendre pour le gamin qui baladait de réels rêves sur le port de Nantes. Dénié son souhait d’entrer aux Beaux-Arts, il devint pilotin dès l’âge de quinze ans, ainsi nourri et logé, remplissant ses indispensables carnets de bord d’observations sur les techniques de pêche, sur le comportement des marins… et ce soin, cette soif de connaissances se retrouvent dans son travail de céramiste. Je m’étonnai que ce fou de feu ait pu passer cinq années pleines sur la mer. «J’ai besoin ‘un contact fort avec les éléments, aussi contradictoires soient-t-ils ! » Marine, chantiers, industrie, vingt ans après…
Alain Gaudebert s’installe à Saint-Aubin Château-Neuf pour des raisons familiales et pratiques, c’est là qu’il « rencontre » les pots de grès de Puisaye et leurs couleurs et coulures dues au feu. C’est l aussi qu’il découvre la terre et le tour du potier. En 1972, il apprend à Ratilly les bases de la céramique que Norbert Pierlot place très haut, les deux hommes parlent de terre, de philosophie, de littérature et d’art. Deux semaines de stage sont peu, mais la force d’attraction devient irrésistible pour l’obstiné qui va observer intensément les ateliers poyaudins, attentif aux informations et aux conseils. Les rencontres avec Ivanoff le choquent, le bousculent, le bouleversent, et le marquent pour toujours. De sa visite chez Deblander à l’heure où celui-ci cuit encore du grès très pyrité dans un vieux four couché, il retient la puissance du feu de bois. Il est aussi l’un des émules de Carriès, séduit par ses émaux mats avec leur éclat de pierre., il s’interroge sur les déformations et les coups de poing sur ses pièces tournées. Il a besoin de l’émail, non en tant que tel, mais pour l’expression picturale. À la bibliothèque de la manufacture de Sèvres, il engrange des centaines de recettes, lit les notes de Salvetat, de Vogt, il étudie de très l’histoire de la céramique du XIXe siècle, avec Chaplet, Dalpayrat, pour essayer de comprendre ce qui a amené les oeuvres de Carriès et Ivanoff. Au Royal College of Art de Londres, il s’entretient avec le père de son ami Lusardi qui lui fait connaître les livres de Rhodes et des autres Américains.
Les vieux pots d’usage qui avait été abandonnés dans la maison en ruine de Saint-Aubin sont aussi devenus ses maîtres, infaillibles par l’équilibre et la permanence de leurs formes, modèles pour le tournage auquel Alain s’adonne avec rage afin de maîtriser ce moyen d’expression. Ivanoff l’a tant inspiré e stimulé que ses premières cuissons sont pour l’émail. Il a construit un four de type canadien – à flamme renversée, avec un seul alandier en forme de V qui distribue la flamme au pied de deux murettes latérales – four qu’il utilise aujourd’hui encore, le cuisant vingt-cinq ou trente fois par ans, et en reconstruisant périodiquement les murettes mangées par le feu.
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Article et photos reproduits avec l’aimable autorisation de l’auteur et de la Revue de la Céramique et du Verre.
Dauphine Scalbert
in la Revue la Céramique et du Verre, n° 13, mai/juin 2003