Alain Gaudebert, fou d’émaux et de feu, par Robert Deblander in La Revue Céramique & Verre N°87 mars/avril 1996
Fou d’émaux et de cuissons au bois, Alain Gaudebert va à contre courant avec la tranquillité des gens qui ont pris un parti venant du plus profond d’eux-mêmes et s’y tiennent solides au milieu de leurs échecs, sereins devant leurs réussites. Les premiers n’étant que des chemins, les secondes des terres prévues sinon promises.
C’est que la pierre philosophale n’est pas un talisman à fabriquer, mais un état d’esprit, de conscience, qui mûrit lentement.
La jeune tradition des émaux somptueux, désordonnés, « rutilants », rêves de verriers enthousiastes autant que de céramistes ne remonte guère au-delà du siècle, amorcée par Carriès, poursuivie de façon plus anecdotique par ses épigones, magnifiée par Chaplet, Delaherche et quelques autres, joliment reprise par nombre d’ateliers plus artisanaux comme celui de Dembach pour s’engluer dans les excès de Vallauris et mourir dans d’ultimes bazars de quartier.
On peut trouver ses origines lointaines dans les trois couleurs
chinoises, et, tout près de nous voir ces « coulures » prendre du
galon dans la peinture de Pollock, désormais baptisées drippings.
En matière de céramique, les facilités du procédé m’en cachaient les richesses réelles quand il y a quelques années je croisais Ginette Monod au Musée des Arts Décoratifs, éblouie par l’exposition Chaplet laquelle m’avait laissé de marbre, campé dans mes préjugés. A peu près au même moment, Bernard Dejonghe frappait un grand coup avec ses extraordinaires tortues qui éteignaient le four de Decoeur, voué à la démolition, par une apothéose convaincante. Ben Lisa en précieux, Champy en superbe, la fête des émaux revenait triomphalement sur scène.
Alain Gaudebert ose retourner aux sources. Son travail évoque plus directement Chaplet ou Delaherche, avec cependant, en arrière-plan, l’ardeur d’un Ivanoff qui soutient une dimension et une ivresse expressionniste dont la chaleur est convaincante. Ses formes restent celles du potier qui accentue les irrégularités de tournage, s’enchante des grands formats, qui joue de la dissymétrie et donne à ses pots un savoureux aspect de croissance spontanée, laquelle ne doit pas faire oublier l’architecture qui les construit.
à-dessus, il se lance à corps perdu dans cet émaillaqe excessif,
aventureux, téméraire, aux épaisseurs interdites, aux superpositions casse-cou, aux coulées volcaniques engendrées par le feu et les cendres du bois où les cuivres – au sens presque instrumental du
mot – lancent les cascades de nuances inimaginables, les sang-de-
boeuf mêlés aux rouges frais, bordés de turquoise, striés de verts de chrome, de bleus, de gris, des noirs métallisés de métal poussé à bout.
Tout ce travail laisse pantois comme après un cataclysme dont on sort miraculeusement. On ne sait pas si c’était « beau », on sent que c’était, que c’est très fort. On aimerait être avec lui au défournement mais avec la mauvaise conscience du guetteur d’ébats intimes. Les grès de Gaudebert font partie de ces oeuvres qu’on adore, subjugué, ou déteste, épouvanté ; pour les uns, il est le vrai céramiste, le magicien, pour les autres, il est à fuir d’urgence. Peu de potiers peuvent lui disputer cette place.
Dans notre pays où la mesure passe pour une vertu cardinale, il est le céramiste « post moderne » par excellence, mais précisément cette mesure est sous-jacente au paroxysme, loin d’être absente de
son travail elle lui confère cette solidité qui en définitive place cette oeuvre passionnée dans une perspective où se distingue plus la Chine que le Japon et lui confère le poids dont manquent tant de travaux baroques actuels venant de nos proches ou lointains voisins
– l’Art céramique est un art profond, secret, aux paysages infiniment renouvelés. Alain Gaudebert fait découvrir de nouveaux et très anciens horizons avec la fougue contenue du potier
accoutumé à faire patienter le feu.
Robert Deblander
En permanence à la galerie Artisanat Réalité, Paris.
En 1996, son travail sera présenté du 4 au 24 juin, au Lavoir, Clamart, du 15 juin au 30 septembre, à la maison du Chanoine, Treigny, du 7 juillet au 15 septembre, à la galerie La Source et le Vent, Erquy.
Télécharger l'article original
Article et photos reproduits avec l’aimable autorisation des ayants droits et de la Revue de la Céramique et du Verre.
Robert Deblander in La Revue de la Céramique et du Verre, n° 87 mars/avril 1996